Il y a 10 ans, le vendredi 16 avril 2014, un drame survient au large de la côte sud-ouest de la Corée du Sud. Le naufrage du Sewol marquera le pays à tout jamais et aura des conséquences inimaginables sur les citoyens, le gouvernement de l’époque et sur la société coréenne toute entière. Revenons sur ce tragique trajet Incheon – Jeju, mêlant problèmes d’infrastructure, incompétence des autorités coréennes, destitution de la présidente et bien plus encore. Nous allons également voir comment la Corée du Sud garde en mémoire et rend hommage aux victimes et aux familles endeuillées.
Détails sur le ferry MV Sewol – 세월호 침몰 사고
Le ferry d’origine japonaise a été construit en 1994 avant d’être revendu à la compagnie sud-coréenne, Chonghaejin Marine Co. Ltd. en 2012. Afin de pouvoir accueillir plus de voyageurs, il a subi plusieurs modifications sur plusieurs ponts, passant d’une capacité de 804 voyageurs à 921 voyageurs. Remis en service début 2013, le ferry effectue de petits trajets hebdomadaires entre Incheon et l’île de Jeju, au sud du pays. Il était majoritairement utilisé comme bateau de livraison de cargaison.
Un ferry doit être inspecté régulièrement pour confirmer son bon état et sa conformité. Le Sewol a bien été inspecté en 2014, plus précisément seulement 2 mois avant la tragédie, le 19 février 2014.
La veille
En ce jeudi 15 avril 2014, les classes du lycée Danwon étaient prêtes pour la sortie scolaire annuelle sur l’île de Jeju. C’était la tradition de l’établissement situé dans la ville d’Ansan : un voyage dès le début de l’année scolaire entre camarades de classe. Les années lycée coréennes sont très stressantes en raison de la préparation intensive pour réussir le Suneung (examen d’entrée à l’université), déterminant pour la poursuite de leurs études supérieures. C’était le moment parfait pour faire une pause dans leur quotidien et s’amuser avec toutes les activités qui les attendaient.
La durée d’un trajet Incheon – Jeju est d’environ 14 heures en longeant la côte Est. Le départ du ferry était prévu à 18h30 mais en raison d’un épais brouillard, celui-ci s’est vu retardé quittant le port aux alentours de 21 heures. À bord du navire se trouvaient 476 passagers : 325 lycéens, 33 membres d’équipage, 15 professeurs et 106 autres passagers. De plus, le navire contenait 124 voitures, 56 camions et 1157 tonnes de cargo (2 fois la limite légale autorisée). Voici la première d’une longue liste d’erreurs qui ont engendré la tragédie.
Le jour du drame
Après une nuit paisible en pilotage automatique, le ferry poursuit sa route vers Jeju, où il était prévu d’arriver aux alentours de 11 heures.
Le matin du vendredi 16, à 8h30, l’équipage de jour a décidé de désactiver le pilotage automatique pour prendre le contrôle manuel du ferry. Seulement 19 minutes après ce changement, le pilote effectue une embardée sur tribord de 15 degrés. La structure modifiée du Sewol a également altéré les capacités de manœuvre. Il est possible de faire des déplacements latéraux en toute sécurité, mais avec une limite de 5 degrés. Les raisons de cet acte restent encore inconnues.
Cet écart brusque fait glisser les automobiles sur le côté et provoque le déséquilibre du centre de gravité du ferry. Le Sewol penche désormais à un angle de 30 degrés vers la gauche, marquant le début de la perte d’équilibre qui entraînera l’enfoncement du navire dans les profondeurs.
Détail: Un inclinaison de 30 degrés n’est pas nécessairement synonyme de danger pour tous les navires. Cependant, du fait que le centre de gravité du Sewol était positionné en haut plutôt qu’à sa base, le ferry était incapable de rétablir son équilibre initial. À ce stade, il était trop tard pour inverser la situation.
Du point de vue des passagers, cela avait l’air d’une turbulence passagère, mais du point de vue de l’équipage, le danger était clair. Le capitaine de bord, Capitaine Lee Jun-seok, ordonne aux passagers à travers les haut-parleurs du bateau : “Ne bougez pas. Restez où vous êtes. C’est dangereux si vous bougez. Restez où vous êtes”.
À 8h52, l’étudiant Choi Deok-ha est le premier à prévenir les secours que le ferry est en train de chavirer. C’est le début des coups de téléphone à tout-va et du manque de communication entre tous les intervenants. Il n’y avait ni de procédure ni de numéros spécifiques à appeler en cas de problème.
Les gardes-côtes clament ne pas savoir qu’il y avait des passagers à bord du ferry et ont donc envoyé une seule patrouille et un seul hélicoptère pensant secourir quelques passagers et non plus de 400 personnes.
À 9h30, le Sewol était déjà incliné à un angle de 50 degrés.
La patrouille 123 est le premier bateau à arriver sur les lieux à 9h35. La patrouille avait l’ordre de secourir chaque individu en visuel, sans savoir que plusieurs centaines de personnes étaient à l’intérieur du bateau. À 9h47, 6 personnes, visibles sur le ponton, ont été secourues.
Ce ne sont autres que le Capitaine du ferry, Lee Jun Seok, se faisant passer pour un passager ordinaire ainsi que d’autre personne de l’équipage. Simultanément, l’ordre de “ne surtout pas sortir des cabines” était toujours maintenu dans les haut-parleurs. Même après avoir été secouru, le capitaine ne révèle ni son identité ni son rôle et n’aide pas les secours avec des informations sur le bateau qui auraient pu être cruciales.
L’information erronée selon laquelle tous les passagers ont été secourus est donc transmise à la Maison Bleue par la patrouille 123. La Maison Bleue, le QG présidentiel, était le lien entre tous les intervenants mais ne communiquait pas en interne sur les détails qui leur parvenaient chaque précieuse minute. Un coup de téléphone les prévenait qu’il y avait toujours des passagers, l’autre disait que tout le monde était en sécurité.
Les autorités sont perdues et ne savent pas comment réagir, demandant à avoir des preuves vidéos avant de donner leurs ordres. À ce moment, la présidente Park Geun-hye était injoignable et introuvable.
Les secours, immobiles, attendaient des réponses des autorités avant d’agir. Ils ne devaient pas se rapprocher du ferry et ne pas intervenir.
Néanmoins, les pêcheurs aux alentours, sentant et voyant le danger, ont eu le courage de secourir un maximum de passagers sur leurs petites embarcations. Seulement 172 personnes au total ont pu être secourues.
Tout au long de la journée, les médias ont continué à propager l’information selon laquelle tous les passagers ont été secourus, rassurant ainsi les familles des victimes, allant même jusqu’à donner des listes de noms de passagers qui auraient été secourus. Malheureusement, cela était loin de la vérité. Plus tard dans la journée, les parents ont découvert ce manque d’organisation, les incompétences de la part des patrouilles de sauvetage et les mensonges que le gouvernement continuait à leur dire. Ils ont décidé d’organiser des recherches par eux-mêmes, grâce à des bateaux de pêcheurs ou de location, devant les secours qui intervenaient toujours pas.
Malgré les efforts des familles, des plongeurs bénévoles et des autres citoyens, le 18 avril 2014, le Sewol était complètement sous l’eau sans espoir de retrouver les victimes.
Une Nation en Deuil: L’Après Sewol
La recherche des corps des victimes du naufrage du ferry Sewol aura duré trois mois. En juillet 2014, le gouvernement a pris la décision d’interrompre les recherches, maintenant un sentiment d’incompréhension et de nombreuses questions sans réponse.
304 personnes ont péri dans cet accident laissant des familles et une nation endeuillée. Même après une décennie, l’ombre de cette catastrophe plane toujours sur la société coréenne.
Lors du procès tenu en décembre 2015, plusieurs condamnations ont été prononcées. Le chef mécanicien a écopé de 30 ans de prison, le capitaine des gardes-côtes de 4 ans, tandis que le capitaine du Sewol, Lee Jun Seok, a été condamné à 36 ans de prison, peine qui a été finalement modifiée en réclusion à perpétuité après un appel.
Cette tragédie a profondément ébranlé la confiance du peuple coréen en son gouvernement. Des manifestations massives dans tout le pays ont exigé la destitution de la présidente Park Geun-hye, qui sera finalement destituée le 9 décembre 2016 pour corruption et emprisonnée quelques mois plus tard.
Ne pas oublier
La société coréenne reste mobilisée pour rendre hommage aux victimes. Des lieux de commémoration ont été érigés, dont un mémorial sur le port de Paeng Mok à Jindo, ainsi qu’un centre éducatif à Ansan, recréant fidèlement les salles de classe des lycéens disparus. Des manifestations sur Séoul ont lieu chaque année le 14 avril pour se rappeler des victimes, comme le dit leur slogan “une fois de plus, rappelons nous du Sewol”.
Le court-métrage “In the Absence« , basé sur des vidéos amateurs capturées par les victimes, a été nominé aux Oscars, offrant ainsi une voix aux disparus et à leurs familles. Cette tragédie a également mis en lumière les lacunes des secours, poussant la marine nationale à réformer ses procédures et à intensifier les formations en secourisme.
Park Ji-young, Kim Ki-woong et sa fiancée Jeong Hyun-seon (Trois membres de l’équipage du Sewol) ainsi que Choi Deok-ha (le lycéen ayant donné l’alerte) ont été reconnus comme Héros nationaux pour avoir tenté de sauver des vies.
Du côté de l’industrie de la K-pop, toutes les activités ont été suspendues en signe de respect jusqu’à ce que le groupe emblématique BTS revienne avec la chanson « Spring Day« , un hommage émouvant aux victimes du Sewol.
Plusieurs chansons pour ne pas oublier les victimes ont été écrites, mais la plus poignante restera 사랑하는 그대여 – You Whom I Love par Shin Yong Jae (4Men).
Shin Yong Jae était le modèle d’un défunt lycée qui rêvait de devenir chanteur. La famille a contacté le chanteur et cette chanson, écrite par leur enfant, a pu voir le jour chanter par son idol préféré.
Face aux insuffisances des secours et aux dysfonctionnements politiques, la création d’un département chargé d’enquêter sur la vérité de cette tragédie est lancé.
Depuis maintenant 10 ans, les enquêteurs essaient de lever le voile et de rendre justice aux victimes et à leurs familles.
En 2024
En cette année 2024, une grande manifestation sera organisée ce mardi 16 avril. Les familles et les citoyens seront tous rassemblés brandissant des rubans jaunes, symbole de cette tragédie.
Depuis 2014, la couleur jaune est utilisée lors des événements commémorant le Sewol, rappelle l’uniforme des lycéens et l’espoir des familles demandant justice.
Le festival cinématographique de Jeonju qui se déroule en mai 2024 projettera des films commémoratifs et le Gwangju Eunam Museum of Art accueille l’exposition ‘’Becoming the Wind of Heaven’ jusqu’au 25 avril.
De la part de toute la Team Musasian, nous apportons notre soutien aux familles, amis des victimes et aux victimes survivantes de ce drame.
Merci à notre muse qui a pris la plume !
Instagram : https://www.instagram.com/myslisaa/
Musasian vous remercie pour la lecture de cet article et vous souhaite une bonne lecture des prochains articles ! N’hésitez pas à nous donner vos avis et remarques en commentaire 🙂
Sources
https://www.yna.co.kr/view/AKR20240329121200054
https://416act.net/29/?idx=18014638&bmode=view
Même si j’avais suivi la destitution de la présidente sud coréenne, je n’avais jamais eu connaissance de ce drame qui arrive 2 ans après le Costa Concordia. Il est dommage de voir que l’on apprend pas de nos erreurs. Merci pour cet article !
De rien avec plaisir ! Et merci à toi de lire nos articles !